Premier Sujet : Dissertation sur une question d'ordre pédagogique
"Faites-lui confiance.Comptez sur les forces cachées en lui".
L'enfant bleu, pages 43, Henry Bauchau, ed.Actes Sud, 2004.
En quoi cette phrase a-t-elle un lien avec le travail de l'éducateur spécialisé ?
Notamment en ce qui concernel'établissement d'une relation et d'un diagnostic éducatif.
Votre réflexion argumentée prendra appui sur vos connaissances, et sur votre expérience clinique.
Méthodologie
1)Accueillir les symptômes (difficultés de la personne ou du groupe)
2)Rappel du cadre
3)Mettre des limites
4)Donner du sens
5)Inviter à un projet qui permette à la personne de quitter là où elle se trouve
Devoir corrigé
Le sujet qui nous est présenté soulève deux questions qui sont au coeur de la complexité du métier d'éducateur spécialisé. Comment établir à travers le travail de l'éducateur spécialisé une relation éducative basée sur la confiance? Comment élaborer un diagnostic éducatif permettant de déboucher sur un projet éducatif s'appuyant sur « les forces cachées» de la personne prise en charge ?
Dans un premier temps je tâcherai de montrer en quoi l'établissement de la relation peu provoquer des forces visibles (symptômes) liées à des actes de violences physiques, psychiques et auto-agressifs. En illustrant mes propos avec la situation de A, un vécu de terrain en prévention spécialisée, je questionnerai le sens de cette agressivité en recourant notamment à la théorie psychanalytique des pulsions, à la notion de distance, au concept de transfert et à la notion de résilience. Dans un deuxième temps, il s'agira de voir comment l'action éducative en équipe permet progressivement de collecter davantage d'éléments sur le plan de la famille, des loisirs et du travail qui permettront à l'éducateur de lui faire confiance et de compter sur les forces cachées en lui. Il n'y a pas de solution miracle pour autant. Il faudra poser des hypothèse et définir un projet éducatif personnalisé et évaluable.
La théorie psychanalytique des pulsions permet d' expliquer comment des évènements extérieurs vécus laissent des traces (image, idée, sensation)et une certaine énergie (affect, émotion) dans l'inconscient (çà) du Sujet. Ces traces et énergies forment les représentants de pulsion qui obéissent aux principes de plaisir. Le refoulement permet notamment d'éviter une trop grande décharge des représentants de pulsion qui ont cette particularité d' être sous tension perpétuel. Lorsque ces représentants de pulsion traversent le Pré conscient et le conscient (Moi) pour se décharger directement vers l'extérieur (le dehors), le plaisir est dit partiel (souffrance, symptomatologie). Une autre partie des représentants est déviée de sa tendance à se décharger directement sur l'extérieur pour former des représentants de mots qui obéissent au principe de réalité et qui permettent une activité intellectuelle. Le plaisir procuré est dit tempéré. Ainsi, la notion de transfert est l' actualisation d'une expérience, une représentation inconsciente refoulée.
Smaïl Hadjadj, dans sa conférence à l'Université de l'éducation nouvelle, (Aurillac) en 1999 souligne bien cette tension perpétuelle du vivant (pulsion de vie biologique) et une certaine dichotomie entre d'une part la frustration que permet un barrage de rétention d'eau produisant de l'électricité et d'autre part une satisfaction totale, l'objet totale(pulsion de mort), conduite à risque ou ordalique.
Autrement dit, ce barrage fait écho avec la notion de dimension symbolique. Le langage, la parole et les mots permettent de construire l'imaginaire dans cette dimension cachée mais existant chez tout être. Cet imaginaire rend possible la constitution d'un barrage psychique en évitant ainsi le déchargement pulsionnel directement. Je pense que l'éducateur spécialisée en établissant le lien avec la personne doit pourvoir mesurer cette dimension symbolique et la prendre en compte dans le diagnostic éducatif.
Établissement du lien
Le travail de rue en prévention spécialisée est un mode d'action qui permet d'établir un lien direct au quotidien avec la personne, dans son environnement et très souvent dans son groupe de pairs. Ce travail qui consiste à aller vers un public cible demande une certaine compétence dans l'identification des représentations se portant sur le quartier, les familles, leurs pays d'origines et les groupes d'appartenances.
Dans ce contexte fortement stigmatisant, quelques années d'expériences cliniques m'ont amenées à cette conviction que pour établir une relation éducative de confiance, il faut arriver à faire une séparation entre l'acte commis par une personne et cette personne elle-même.
Séparer l'acte de la personne, c'est d'abord croire en un avenir meilleur pour elle, c'est ensuite comme E.Goffman le rappelle dans Stigmate , ne pas la figer dans l'impression qu 'elle donne d'elle dans l'établissement du lien,c'est enfin pouvoir mieux percevoir les forces cachées en elle.
C'est au cours du travail de rue que je rencontre A dans un contexte de violence physique et psychique. Dans la rue, A se livre à des actes de délinquance en compagnie de son groupe de pairs : vol à l'arrachée de portable, jeux et autre produit technologiques , recel de ses biens et vente de cannabis. Ces vols sont quelques fois accompagnés d'agressions physiques en cas de résistance de la victime. Cette violence existe également sur le plan de l'auto- agressivité : consommation de drogue avec une banalisation du cannabis qui fait peu à peu place à la cocaïne devenu moins cher et plus accessible.
Il arrive parfois que cette agressivité de A et de son groupe de pair se fasse sous les yeux de l'éducateur lui-même qui se doit de réagir in situ et en équipe.
Oui mais comment ? Quel lien établir avec A lorsque A va jusqu'à porter la main sur un collègue éducateur pour le provoquer ? Comment après tous cela compter sur des forces cachés en lui, lui faire confiance, même si visiblement lui ne fait pas confiance? En six ans de pratique j'ai tout de même vécu une situation ou presque tous les membres d' une équipe éducative sont allé porter plainte au commissariat contre un jeune menaçant, cela pose question ?
Répondre à ces questions c'est d'abord tenir compte de trois faits majeurs que je ne peux développer ici : la mission d'intérêt général et d'utilité sociale de l'éducateur, le dysfonctionnement du cadre institutionnel et le travail en équipe. C'est ensuite faire appel à la notion de distance et au concept de transfert.
La notion de distance est parfois invoquée comme un alibi au refoulement des émotions. Quelle postures adoptée face à l'agressivité liée notamment à l'interdit de la différence des générations. Ainsi, la peur suscitée par les différents passages à l'acte de A aurait médusé l'éducateur spécialisé, qui ne trouvant pas de réponse au niveau de l'équipe et du cadre institutionnel, ne sait quelle posture adopter face à cette situation.
Cela soulève par ailleurs un problème sur le plan éthique puisque la mission même de l'éducateur spécialisé qui est d'intervenir auprès de la personne et de sa famille est détournée au profit d'un « service minimum » comme j'ai eu l'occasion de l'entendre et de le constater lors d'un stage en internat au cours duquel mes collègues avaient décrété de faire le minimum pour une jeune fille en raison de sa violence.
Diagnostic
Un jour, je décide en équipe de mener une action ponctuelle en binôme avec A et son groupe de pairs âgés de 17 à 20 ans. Cette action permettait notamment de créer du lien et de partager. Cette action, une journée barbecue, aura permis notamment de comprendre l'importance de la prise en compte du cannabis dans le cadre éducatif mise en place avec le jeune.
En effet durant cette action le groupe s'était réfugié dans l'espace sécurisant de la voiture pour fumer du cannabis. Ils n'osaientt visiblement pas fumer devant nous, mais ils voulaient que cela se sache. Le cannabis est pour le groupe un moment de partage, et de plaisir partiel. C'est une satisfaction qui écarte les principes de réalité comme la loi et la justice.
En tenant compte du Temps de la justice qui est nécessaire pour établir la sanction face aux déviances, le travail de l'éducateur spécialisé doit parallèlement se baser sur une relation éducative d'altérité en s'efforçant de reconnaître le Sujet (la personne) et non les actes qu'il a pu commettre. L'altérité vient de alter qui signifie « autre » . Cet autre que le diagnostic doit s'efforcer de faire émerger.
Cette expérience a aussi permis de voir que même dans ce moment de plaisir, la parole ne circule que trop rarement et laisse souvent place à des regard expressif, des non-dits. Il se dégage peu à peu de ce vécu des éléments qui nourrissent le diagnostic éducatif.
Outre la nécessité de bien connaître et de tenir compte des divers symptômes liées à la consommation répétée de cannabis, il convenait également de recourir à la parole pour signifier la Loi (sociale et symbolique), le cadre institutionnel et le cadre de l'activité mise en place avec le groupe (journée Barbecue). Poser le cadre c'est d'autre part convenir avec A et le groupe des modalités de déroulement de l'activité : nous pourrons convenir de ne pas fumer dans les lieux publiques et dans la voiture par exemple. Ce cadre de convention est un terrain propice à la parole et à la négociation qui permet d'argumenter le oui et le non. Le diagnostic va naître de ses échanges.
Parallèlement, un lien s'est établit avec la famille de A qui a permis de mieux comprendre les difficultés de sa famille d'origine malienne, la personnalité introvertie de sa mère analphabète, la maladie puis le décès de son père. Une analyse du génogramme de la famille, des actions menées avec celle-ci, une étude des interactions entre les membres montrent une certaine pathologie dans la communication en son sein.
Le diagnostic éducatif fait état de carences éducatives et affectives précoces
A est moins inhibé et plus réceptif dans l'échange de face à face. Il arrive progressivement à montrer son désaccord par la parole. Lors d'un séjours , il confie à une collègue éducatrice, son désir de devenir chauffeur de Taxi. Ces constats formeront la base de l'élaboration de son projet éducatif personnalisé.
La relation éducative permet de donner du sens nécessaire à la construction de la personne qui, pour de multiples raisons, n'en a pas trouvé dans le contexte familial, scolaire et social. L'éducateur spécialisé intervenant dans les différents champs d'activité devra permetrre cette relation de confiance face au comportement à risque de la personne prise en charge. L'éducateur devra garder en tête que son statut de « sujet supposé savoir » l' expose inévitablement aux décharges pulsionnelles de la personne . Un travail de supervision individuel et en équipe s'avère indispensable.
Enfin, c'est au sein de la mise en commun en équipe que l'acte éducatif va prendre tous son sens en donnant un aperçu global sur toutes les forces cachées du Sujet.
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